ARTISTE MATIERISTE
De la matière à la mémoire : quand l’art invite à accepter l’impermanence.
– Isabelle Masson-Loodts –
Au cœur de l’œuvre de Thomas Corbisier se trouvent les notions de changement, de transformation, de commencements et de fins. Autant d’idées que regroupe le concept d’impermanence…
L’impermanence occupe une grande place dans votre réflexion, et même dans votre processus créatif. Comment la définissez-vous ?
L’impermanence regroupe les différents phénomènes qui engendrent la modification d’un état vers un autre. L’impermanence est donc un mouvement, un mouvement créateur puisqu’il résulte dans le changement d’un état premier vers un état nouveau. Qui dit mouvement, dit également déplacement. Si l’on prend l’exemple d’un mur qui s’effrite. On peut imaginer que dans sa détérioration une partie de ce qui compose le mur se retrouve sur le sol et forme un tas de poussière, poussière que l’on peut également nommer de façon plus générale « matière ». Il est envisageable que cette matière puisse être balayée et jetée dans un sac poubelle. Que ce sac poubelle sera chargé dans un camion poubelle, où il se fera déchiqueté. De cette plaie la matière qui composait au départ notre mur se retrouvera au fond du camion et par la suite sera déversé dans une décharge.
On peut voir dans cet exemple que ce qui est en mouvement, c’est la matière. C’est pour cela que la matière a autant d’importance dans votre travail ?
Oui. Toute forme de vie étant faite de matière, on peut imaginer que la matière qui la compose est également en mouvement au travers de la perte et de la régénération des cellules. On peut en déduire que la Vie fait intégralement partie de ce mouvement créateur qu’est l’impermanence, qu’elle en est même un véhicule, qui permet à la matière de se déplacer. La vie serait un moyen, l’homme serait un outil parmi d’autres qui permet le flux constant de la matière sur l’ensemble du globe. Ce « véhicule » qu’est l’homme n’est pas dissociable de l’impermanence, et en même temps il semble vouloir aller à l’encontre de cette réalité et tendre vers une vie immuable.
Pourquoi ce concept vous intéresse-t-il ?
L’impermanence est une réalité qui fait peur et qui engendre de la souffrance. Au travers de mon travail plastique, je cherche à découvrir, à me confronter et à partager la réalitéde ce phénomène, pour atteindre un certain lâcher prise et percevoir un début de « bonheur ».
Pourquoi l’homme semble-t-il avoir du mal à accepter ce paradoxe ?
Les 5 sens dont nous sommes dotés ne nous donnent qu’une perception limitée et orientée de notre environnement, un peu comme si nous portions des oeillères. Or, c’est sur base de cette vision obstruée d’un ensemble plus large que nous construisons nos croyances et nos vérités. C’est ce qui explique que dès que quelque chose vient remettre en cause ce que nous prenons pour LA REALITE, cela génère de la souffrance, un conflit interne… Aujourd’hui, dans ma réflexion, j’en suis arrivé à penser qu’il n’existe pas une seule réalité, mais qu’il en existe autant que de sujets qui expérimentent leur environnement. On peut peut-être trouver le début du vrai bonheur dans l’acceptation et la compreéhension de ce paradoxe, et dans notre capacité à questionner la réalité, à la remettre en cause. C’est ce que j’essaye de faire au travers de cette réflexion qui est en perpétuelle évolution…